« A minuit, la soirée de la St Sylvestre fait sa pause habituelle laissant les convives s’embrasser et s’échanger leurs meilleurs voeux. Ensuite, s’ensuivent les traditionnelles résolutions que chacun annonce avec fierté pour l’année à venir, mais que nul ne tiendra vraiment. Au contraire, dans le « groupe de Nice », pas de fanfaronnade, plutôt un mélange d’humilité et de tension à l’idée de commencer les choses sérieuses. On est le 1er janvier depuis quelques minutes, ma cravate est toujours glissée dans le col de ma chemise et nos pieds n’ont pas encore usé le dance floor que je ressens déjà la pression, un début de stress pour ce défi que je me suis fixé avec tous les autres.
On sait tous que cette nuit signe le passage d’une année à une autre mais, elle est surtout pour nous le point de départ officiel de la préparation  spéciale. Les mails reçus jusqu’à aujourd’hui de la part de Pascal avec les plans hebdomadaires étaient lus en diagonale sans réel prise en compte des séances préconisées pour chacun de nos trois sports. Ce soir c’est différent, comme un 18e anniversaire signe le passage à l’âge adulte, le 1er janvier est la porte ouvrant le passage sur près de sept mois d’une vie d’ascète dédiée à la date du 29 juin 2014 qui nous hante.
Afin de ne pas vexer nos familles qui nous supportent, en général on a négocié nos absences futures contre une « vraie » soirée du nouvel an et un 1er janvier au chaud à la maison. C’était le deal …. peu ont réussi à tenir. OK pour la soirée, passe encore la grasse mat’, j’accepte le plan film/canapé avec les kids affalés sur le canapé mais POURQUOI attendre le 2 janvier pour lancer la prépa ? Après tout, une petite heure à courir ne changera pas l’ambiance cool de la journée alors qu’elle pourrait avoir tellement d’importance pour le temps final à l’IM ! Et puis les 3 « otaries » échouées sur le sofa ne remarqueront même pas mon absence. Reste à vendre la projet « CAP le 1er Janvier » à ma magnifique épouse. Comment aborder le sujet ? J’avais promis une journée d’abstinence et je cherche à rompre ma parole donnée. Chance extraordinaire ou couple parfait (j’ai ma petite idée), Madame me fait la remarque qu’elle a trop mangé la veille, que la météo est extraordinairement clémente pour la saison, que ce serait gâcher ce temps que de ne pas sortir … et qu’elle a envie de courir. 6 minutes et 47 secondes plus tard nous lancions un « à tout à l’heure les enfants » qui s’évapora avant d’atteindre au moins un des trois bonhommes hilares devant l’écran LCD accroché au mur diffusant l’un des milliers bêtisiers de saison. Au final quelques kilomètres « psychologiques » et un excellent moment en couple, l’équilibre parfait en somme. Au retour, un petit tour sur ma page Facebook m’apprendra que je n’ai pas été le seul à entamer 2014 par une « sortie », les applis Runmachin et Sportbidule de la plupart des gars du club dévoilant les entraînements en douce de chacun.
Bref, motivation au taquet, vélo astiqué, baskets neuves reçues au pied du sapin rangées juste devant la porte, sac de piscine ad vitam dans le coffre de la voiture, et plan d’entraînement hebdomadaire affiché sur le frigo au milieu des dessins des enfants avec des magnets « départements français »  … je suis prêt, et que la fête commence ! Le club offre la possibilité de nager le lundi, courir au stade le mardi, nager le mercredi, courir sur piste le jeudi, nager le vendredi et pédaler le dimanche ce qui est déjà énorme si on compare avec n’importe quel autre sport « amateur » en France. En plus, Maxime monte une équipe pour courir en forêt le samedi matin où participent entre autre les « papas du TSF » qui profitent de l’entraînement des enfants pour fouler la campagne de 10h30 à 12h ; Miguel accueille qui veut bien le samedi en fin de journée pour parfaire sa nage….et Jean-Marc continue à traverser la forêt de St Leu le jeudi soir avec sa frontale et tous ceux qui le souhaitent.
Dans un tel contexte, mes heures s’accumulent vite, très vite, peut être trop vite à vouloir tout faire. Il est facile dans les premières semaines de se jeter à corps perdu dans des heures et des heures de sport mais sur la durée se posent les premières questions sur la force de caractère qu’il faudra pour tenir la charge, sur l’érosion naturelle de la motivation, sur la qualité du foncier quand on enchaîne des séances de fractionnés avec des sorties à 85% (au mieux). Les expérimentés se connaissent et leur expérience parle pour eux mais pour les rookies, les doutes sont légitimes. Juin est encore très loin et la phrase des commentateurs sportifs « attention à ne pas se tromper d’objectif » commence à résonner dans ma tête.  En plus, j’ai un agenda professionnel qui existe bel et bien, et mon activité m’oblige à faire des choix, ce qui n’est pas si mal. La fin d’année et ses courses qui ont « tapé dans la caisse » suivies de semaines à plus de 10h de sport laissent indéniablement des traces. Je réalise que j’ai certainement été un peu optimiste à vouloir tout faire d’un coup et j’ai des coups de fatigue réels qui sont comme des avertissements. Mon expérience personnelle m’a appris que la fatigue était de manière régulière suivie de blessures si je ne réagissais pas. Tendinite et entorse, j’ai donné à de nombreuses reprises et mon objectif est trop important pour tout risquer et ce n’est pas Jérôme qui va me contredire. Une machine qui plante, la production qui s’arrête, un escalier descendu des milliers de fois, une marche qui se dérobe, la cheville qui tourne et patatra, badaboum, bing bang bong ! Une énorme entorse doublée d’une tendinite et adieu le sport pendant 3 semaines, ciao CAP pour au moins 6 semaines…pour le moment. La volonté peut déplacer des montagnes mais ne permet pas de courir avec une attelle. Heureusement, ce n’est que le mois de janvier mais le bonhomme est atteint (mais pas éteint). Il prend son mal en patience, nage avec pull boy, chevauche son S-Works tout neuf dès que le médecin l’autorise mais la confiance est entamée. Lui qui appréhendait déjà le marathon final, il s’inquiète encore plus depuis qu’il ne s’entraîne plus.

Malgré ces incidents qui sont indissociables d’une préparation aussi longue pour un groupe aussi nombreux, le groupe continue à se renforcer. Virgile et Thierry qui n’ont pas eu la chance de s’inscrire à temps ne se démontent pas et ont rejoint le groupe. Après tout, les règles statistiques sont de leur côtė : sur 2500 coureurs inscrits il y aura des désistements et des dossards seront obligatoirement remis en jeu. Alors, pas question d’être pris au dépourvu ; il s’entraînent comme les 25 autres forçats de l’effort. Personnellement, je trouve ça extrêmement motivant. Je me rends compte de la chance d’avoir un dossard et face à ces deux potes, je ne me sens pas de m’entraîner qu’à moitié. En plus, je réalise que leur délivrance viendra de l’abandon d’autres coureurs sur-motivés et qu’ils espèrent ce coup du destin comme les deux vautours dans une BD de Lucky Luke, sans le côté glauque et menaçant.
Comme depuis le début, le groupe avance, gérant les encombres avec réactivité. Les 3 premières semaines de notre préparation se compose de 10 à 12h hebdomadaires, principalement sur le foncier. Sorties moyennes, rythme cardiaque maîtrisé, de la PPG pour préparer le corps et des éducatifs pour améliorer la technique et aussi limiter les blessures d’usure. J’apprends aussi à sortir mon Cannondale par tous les temps. La météo a beau être de notre côté cet hiver, j’ai eu la « chance » de sortir mon vélo les rares fois où la pluie a décidé de tomber à seau d’eau. Pas « glop » pour la mécanique, mais ça forge le moral. Je me dis que ces kilomètres sous la flotte seront de bons souvenirs le jour J où il risque de faire chaud dans l’arrière-pays niçois. Alors je baisse la tête, monte les genoux et surtout je ne « lève pas mon cul de la selle » dans les côtes. Romu à été clair sur ce point et Jérôme me l’a rappelé en m’expliquant le pourquoi des choses. A priori je ne le regretterai pas quand on attaquera en montagne car «j’encaisse de la puissance ». Bon, je visse mon derrière sur les quelques cm² de cette selle dure comme de l’ébène et qui commence à laisser une empreinte, voire un moulage sur mon séant.

Nous recevons d’ordinaire le plan le jeudi pour le lundi qui suit. C’est toujours la même surprise en ouvrant le fichier Excel. Pour la quatrième semaine de janvier, Pascal nous annonce une semaine de récupération qu’il nous invite vivement à respecter car elle s’inscrit dans un programme global et est nécessaire, que dis-je, indispensable pour solidifier les premiers progrès acquis. Personnellement, je devrais la décaler d’une semaine pour la faire coïncider avec une semaine de boulot à Amsterdam où aucune minute ne me sera offerte pour profiter de la douceur de la belle ville du Nord. Les seuls temps « libres » qui me resteront seront dédiés à dormir quelques heures et à rédiger cet article avec du retard.

Je ne vais pas finir cet article sans raconter mon coup de stress de mon premier marathon en 2009. Je m’étais inscrit sur le  Nice-Cannes et pour me rendre sur place, je volais le samedi matin sur la navette Air France depuis Paris. Je m’enregistre, et je mets en soute ma valise avec mes gels, boissons, et le reste de mes affaires. Habitué à voyager plusieurs fois par mois, je n’ai toujours pas compris pourquoi je n’ai pas gardé mon paquetage de course avec moi en cabine ce jour-là mais après l’atterrissage, arrive ce qui n’arrive jamais sur un vol domestique direct…pas de bagage sur le tapis. Je fais toutes les démarches nécessaires pour enregistrer mes doléances mais même un statut « Gold » sur la compagnie n’aide pas à faire retrouver ma valise. Je vais à l’hôtel et appel mon service client de la carte de paiement utilisée lors de la réservation et on m’explique que si mon bagage a plus de 4 heures de retard, je bénéficie d’un budget maximum de 800€ pour parer aux premières nécessités. Je raconte à la jeune femme au bout de la ligne que ce qui pour moi est « vital » à ce moment est un équipement de CAP et que j’ai besoin de baskets, shorts, maillot….pas de costumes, chemises ni cravate. « Pas de soucis, envoyez-nous les factures, votre dossier est enregistré ». Me voilà donc dans la boutique de running du centre-ville de Nice avec un budget de plusieurs centaines d’euros à « claquer ». J’ai vécu ce que toute femme rêve de vivre, une journée Pretty Woman. J’ai attrapé un vendeur et lui ai expliqué que je devais m’acheter un pack complet pour courir le marathon le lendemain, prévoir toutes les météos possibles et que je me fichais des prix. Assis au centre du magasin, on m’apportait la dernière paire de New Balance, la combi Adidas qui venait de sortir, le meilleur coupe-vent en GoreTex …et évidement j’ai tout acheté comme le délais des 4 heures était dépassé. Heureux de cette aventure, je suis parti dîner en ville un peu stressé de la course à venir, de l’idée de courir 42km avec des chaussures neuves et d’autre chose que je n’arrivais pas à cerner. Une fois dans ma chambre je compris ce qui me taraudais depuis des heures, cette sensation d’avoir oublié quelque chose. MES GELS !!! je n’avais pas de gels pour la course et il était 21 heures. Ma seule chance était le village marathon à 200m. Je cours sur place mais tout était déjà fermé. Les exposants rangeaient leur matériel et le village était devenu interdit au public. J’explique mon cas à la sécurité, la rumeur se propage autour de moi et un homme portant des cartons m’interpelle. Je lui répète mon histoire et il m’invite à le suivre dans son camion. Il ouvre la porte et je vois des caisses complètes de gels. J’ai choisi les « fruits rouges » et il me les a offerts en me souhaitant bonne course.
Un peu plus tard le soir je reçois un coup de fil de l’aéroport me signalant que ma valise arrive par taxi à mon hôtel. Au final j’ai couru avec mon matériel en 3h44, super content d’avoir fini ces 42,195km pour la première fois. »

Fabrice Emonnet

Les Episodes précédents : Episode 1, Episode 2, Episode 3

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