« Fin juin 2013, je m’inscris à Nice sur un énorme coup de tête. Pour la majeure partie du groupe, tout cela était prémédité. En ce qui me concerne je me suis décidé en deux jours bien aidé par la vague d’inscription au sein du club. Je serai le cadet du groupe du haut (ou bas) de mes 26 ans le jour de l’épreuve. Ce sera mon premier ironman.
Cela fait trois ans que je pratique le triathlon. Au moment de l’inscription je n’avais jamais dû dépasser les huit heures d’entraînement par semaine. Et cela ne m’était pas souvent arrivé. Je n’ai jamais été un stakhanoviste de l’entraînement. Au paiement de mon dossard j’étais persuadé de ne pas le devenir.
Jusqu’à début décembre je ne réalise pas dans quoi je me suis embarqué. Une bonne partie de l’été sera consacrée à m’enfiler des bières et du canard. A l’automne je me reporte sur quelques bouteilles de rouge après le boulot. Malgré ces excès, je m’efforce de faire baisser ma courbe IMC. Avec un certain succès je dois le dire. Mais niveau révision de mes gammes, je me cantonne à une séance d’un sport par semaine ce qui me suffit amplement.
Néanmoins, je constate quelques progrès notamment en course à pieds qui est mon point faible. Et les sensations vont en s’améliorant dans les trois sports. Je vois aussi que je continue à m’affiner. C’est aussi à ce moment que les premiers plans arrivent. Il n’en faudra pas plus pour me faire basculer de l’autre côté.
Galvanisé par mes nouvelles sensations lors de mes séances, je commence à les doubler. Puis à les tripler lorsque je le peux. Et j’aime ça. Me voilà régulièrement à douze heures par semaine sans m’en rendre compte. C’est grisant car mes progrès sont réguliers et chaque semaine, je me demande quel niveau je pourrai atteindre. Et l’effet de groupe (25 membres tout de même) déculpe tout cela.
Je commence à comprendre tous ces collègues de club qui ne se sentent pas bien s’ils n’ont pas fait leurs dix heures hebdomadaires. Aussi, cela me rappelle mon enfance lorsque mon père (ex-triathlète) passait un nombre innombrables d’heures à s’entraîner. A la maison, on le prenait pour un fou. Aujourd’hui j’ai l’impression de devenir comme lui mais pour me calmer, je me rappelle qu’il est aujourd’hui un peu cassé de partout. Brisé par ce qu’il a fait subir à son corps. Je me fixe des priorités pour ne pas imploser en vol. L’entraînement ne doit pas altérer ma vie personnelle et professionnelle.
Le mois de janvier aura été le vrai commencement de cette aventure. Le groupe s’est vraiment réuni. Ca y’est nous sommes tous dedans. Chacun entame, à son rythme, sa montée en puissance. Chaque fois nous nous retrouvons les conversations ne tournent qu’autour de Nice. Des personnes extérieures s’ennuieraient ferme. Nous nous plaisons à faire des plans sur la comète et à se titiller sur nos objectifs respectifs. La machine est lancée, plus grand chose ne pourra nous arrêter. Certains ont parfois des doutes mais un collègue sera là pour le rassurer. Un mois plus tard les rôles seront inversés.
En février nous avons eu notre premier mini stage. Nous en aurons trois au total. Nous nous retrouvons le temps d’un week-end pour faire du volume ensemble. Pour cette première édition nous avions les trois disciplines au programme le samedi. Et le dimanche : une longue sortie vélo (3h30) enchaînée d’une quarantaine de minutes de course à pieds.
Le samedi tout commence bien avec une sortie pédestre avec les sages du groupe (Michel et Gégé) qui ont déjà plusieurs ironman à leur actif. Une séance de 1h20 à un rythme somme tout régulier. Nous enchaînons l’après-midi par deux heures de vélo avec un programme bien tracé : échauffement, une période de qualité avec de la force et de la vélocité puis retour bercail. Nous faisons la qualité sur un circuit bien connu par chez nous (Baillet pour les intimes) qui fait une dizaine de kilomètres. C’est là que le lâcher de fauves commence.
Au moment où Pascal nous donne le feu vert pour le travail de force, on se serait cru au réveillon de Noël quand on dit aux enfants qu’ils peuvent enfin ouvrir les cadeaux. J’en vois un (Fabrice pour ne pas le nommer) placer un démarrage. Cela excite les collègues qui accélèrent franchement pour ne pas le laisser partir. Première bosse : ça pète de partout. Je me retrouve tout seul, un peu frustré de ce gros bordel organisé. Je me fais énormément violence pour recoller et je tombe sur notre Fabrice (aka le puncheur) un peu essoufflé . On entame le second exercice : vélocité. Echaudé par l’exercice précédent, je décide de me mettre devant et personne ne pourra me relayer. Certains du club diraient que je débranche le cerveau, une expression bien connu du triathlète apparemment. Je suis à fond et dès que quelqu’un me relaie j’accélère. Oui un triathlète, ça peut être très con. On finit l’exercice, tout le monde tire la langue, Bruno a pété. Je suis content. Puis retour au calme ponctué tout de même de quelques accélérations. On ne se refait pas.
Le soir : piscine. Naïvement je me dis que la séance va être tranquille. J’arrive avec mon air ingénu au bord du bassin. Je déchante de suite. Pascal, avec l’aide d’Alison (la coach) nous a concocté une séance pas commode. Je fais cinquante mètres et j’ai des prémisses de crampe. Il aurait peut être été de bon ton de laisser le cerveau branché cet après-midi. Tout le monde est à la ramasse (sauf JC la machine à laver) mais on s’encourage mutuellement. Que c’est beau le sport. Je sors de la séance lessivé. Une vraie serpillère. Si je mets ma chaussure, c’est crampe assurée. Je suis tenté de rentrer pieds nus mais je finirai par m’en sortir.
Le soir c’est couscous. Je vais faire un carnage, les invités vont m’appeler Dyson. Je commence par une razzia sur les gâteaux apéros, je lèche le rebord du bol. Ensuite les merguez et la semoule sont englouties comme un chien qui mange sa galette. A 23h, plus de courant dans la machine. Le mode zombie est enclenché, je me contente d’acquiescements et de verres d’eau. C’est à ce moment que je me remémore mes jeux vidéo d’espionnage de mon enfance pour partir me coucher furtivement.
Le lendemain le rendez-vous est pris à 8h30 pour 110 bornes de vélo. Il ne pleut pas mais de sacrées rafales sont au programme. Curieusement les jambes répondent plutôt bien. Ce n’est pas le cas du vélo qui a du mal à répondre au vent. Après plusieurs frayeurs et des relais vent de face, nous décidons d’écourter à 90 kms. Je suis partagé entre jubilation et déception de ne pas faire le programme annoncé. A ce moment, je me dis que j’ai basculé du côté obscur.
On rentre au bercail pour enchaîner en course à pieds. La femme de Fabian avait préparé un gâteau. Plusieurs en mangent un morceau et s’extasient tour à tour de ce met. Je fais l’impasse de mon côté avant la course à pieds même si mon estomac m’encourage d’y aller de ma bouchée.
On part pour la course à pieds. C’est bon ça va être tranquille. Malgré cela après deux kilomètres, j’ai l’impression de taper dedans. Je regarde mon Garmin : 4’30 au kilo. Ah ok. Nouveau court circuit au cerveau et je me cale dans la foulée de Fabian dont le gâteau semble lui donner des ailes. Plus le temps passe plus je suis à fond. En gros à chaque kilomètre, quelqu’un pète. Toujours pas de décélération en vue. J’ai la machine au bord de la surchauffe. Je vois Stéphane qui commence à craquer, je saute sur l’occasion. Je mets le clignotant et dit que je vais l’attendre pour ne pas qu’il soit tout seul. En réalité, j’étais prêt à exploser. On finit la sortie tranquillement puis on se jette sur le gâteau de Fabian après s’être tous tapé dans les mains.
Ce mini stage était assez amusant bien qu’un peu décousu. On risque de moins rigoler au prochain. Nous avons un menu pantagruélique avec notamment 60kms de vélo, une course pédestre de 25 kms puis encore 20 kms de vélo. On ira sûrement se finir à la piscine le soir. Je préfère ne pas penser au dimanche pour le moment.
Cette préparation m’a fait découvrir le goût de l’entraînement. Il n’y a rien de plus grisant que sentir les effets des heures déjà accomplies. C’est un cercle vicieux dans lequel j’essaye de ne pas sombrer. Je me découvre aussi un corps de fantôme : je mange mais une heure plus tard c’est comme si je n’avais rien avalé. Mon entourage s’inquiète parfois de la quantité que j’ingurgite mais me jalousent un peu lorsqu’ils voient que cela me fait maigrir.
Malgré tout cela je garde en tête qu’il n’y a pas que l’ironman dans ma vie. J’ai des choses et personnes qui me tiennent beaucoup plus à cœur. Et pour moi la course ne sera pas réussie si les personnes qui me sont chères ne seront pas là le jour J pour m’accompagner.
Gardons le cerveau branché. »
Maxime Tresal-Mauroz
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