L’EmbrunMan, parfois malmené, une fois annulé (en 2020, pour cause de Covid19), est un monument bien en place. Solide sur ses bases. Un pilier de la discipline qui a parfois vacillé, mais qui s’est toujours relevé, au cours de ses quatre décennies d’existence. Grâce notamment à l’opiniâtreté de son organisateur – qui ne s’est pas fait que des amis dans l’Embrunais et ailleurs – à la fidélité sans failles de ses bénévoles, et à la force d’attraction qu’il exerce sur des triathlètes, comme aimantés par un parcours et une ambiance hors du commun.

Par Luc Beurnaux

« Hawaii, c’était la plus mythique, Roth la plus roulante, Nice la plus touristique, Auckland la plus lointaine, mais L’EmbrunMan, c’était l’épreuve la plus belle, et certainement la plus dure du calendrier. Quand on se retrouve dans le parc à 5 heures du matin, on a tout, sauf la grosse tête, face à l’ampleur de la tâche qui nous attend ». C’est Eric Plantin qui le dit. Il a terminé deux fois à la 4e place, deux fois à la 5e place de l’EmbrunMan, entre 1990 et 1995. Et même avec une main cassée, et bandée. Il a cavalé à travers le monde au temps des pionniers du triple effort. Il en a vu, du pays, et des parcs de transition. Sa parole mérite donc d’être écoutée. Et on peut le croire, lorsqu’il définit Embrun de la sorte. Les dizaines de milliers d’athlètes qui se sont mesurés, depuis, à l’EmbrunMan, se retrouvent sans aucun doute dans ses propos. Certains ont débuté et terminé leur « carrière » de triathlète par Embrun. Sur un « one shot », qui comble parfois toutes les envies d’ailleurs. Le Queyras en toile de fond, 5000m D+ sur le parcours vélo (un peu moins en réalité, mais l’organisation a du mal à l’admettre), jusqu’à 100 000 spectateurs présents près du plan d’eau – centre névralgique de l’épreuve – durant le week-end.

EmbrunMan

Charlotte Morel à la sortie de l’eau

L’un des triathlons les plus exigeants du monde

Difficile, en effet, de trouver plus exigeant, plus envoûtant, plus populaire, plus intense, que cette épreuve. La vivre, et la finir, une fois, au moins, c’est pour certains faire le tour de la question « triathlon », sans ressentir le besoin d’aller chercher davantage ailleurs, puisque l’EmbrunMan, par sa puissance, sa force, comble toutes les attentes de ceux cherchant à flirter avec « les limites ». Mais la plupart y reviennent, inlassablement. Il est même des spécialistes de « l’ouvrage », qui dessinent leur saison autour de l’épreuve du 15 août, et certains vont jusqu’à organiser leur carrière autour de cette date pivot, grisés par un parcours mythique : le départ à 6 heures du matin, dans l’obscurité du lac du Plan d’Eau d’Embrun, d’abord, avec comme seuls repères les torches allumées sur les kayaks ouvreurs. Puis le jour qui se lève avec les premières femmes sorties de l’eau (elles qui partent 10 minutes avant les hommes) ; les premières pentes menant à Saint Apollinaire, où le cœur n’a pas le temps de redescendre, après la première transition. La plongée vers Savines-le-Lac, avec les magnifiques couleurs conjuguées de l’eau du lac de Serre-Ponçon et du soleil matinal. La route des gorges, ensuite, surplombant le Guil, où le cycliste est pris entre les amas de roche qui débordent au-dessus de sa tête, semblant l’envelopper, et les flots bouillonnants, en contrebas. Puis vient l’ascension vers la Casse Déserte et le sommet de l’Izoard, où les supporters ont fait le déplacement… C’est là que la course commence véritablement, après 70 kilomètres environ. On devine alors comment la première difficulté va être digérée, au teint blafard ou écarlate, au souffle court ou maîtrisé de ceux qui s’arrêtent, plus ou moins longtemps au sommet, pour piocher dans leur sac de ravito, à plus de 2300m d’altitude. Les anxieux enchaînent directement avec la descente. Les plus sages, ou contemplatifs, descendent de vélo, tirent le sandwich du sac, s’assoient, profitent du panorama, et refont les stocks d’énergie. Qui va loin ménage sa monture. Gare à ne pas être trop gourmand dans ce col mythique. Car si l’Izoard est une difficulté du parcours, ce qui se cache derrière, dans son ombre, en est une autre. Beaucoup moins mythique, certes moins glorieuse, mais tout aussi – voire davantage – sélective. D’abord la descente vers Briançon et ses lacets serrés, qui n’autorisent aucune baisse de lucidité, ni erreur de trajectoire.

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Le Pallon et Chalvet, pires que l’Izoard ?

Si les docs touristiques vantent 300 jours de soleil par an dans ce département des Hautes-Alpes, les triathlètes tombent parfois sur l’un des 65 « mauvais » jours. Pas de chance… C’est alors la grêle, le froid, la neige, qui peuvent s’inviter sur les sommets de l’épreuve, corsant un peu plus l’addition, et défiant un peu plus la résistance des triathlètes.  En 2008, on dénombrera pas moins de 110 abandons en bas de la descente de l’Izoard. Plus loin, survient l’infâme Pallon : un véritable mur qui s’agrippe à flanc de montagne. Environ 1500m à 12%. Et parfois le vent de face qui corse le tout, sur un bitume au rendement affligeant. On croit en avoir fini, plus tard, quand on aperçoit Embrun qui se dévoile, au loin. Un mirage, en fait. On croit toucher au but. Erreur. C’est oublier « La bête », surnom de la côte de Chalvet, qui « fusille » les derniers espoirs de terminer frais le périple de 185km à vélo (voir encadré). Ceux et celles qui parviennent à boucler ce grand huit dans les délais impartis (arriver avant 17h 15 au parc de transition) peuvent s’élancer sur le marathon final. Les autres auront beau pleurer, gémir, négocier, ou menacer, leur EmbrunMan s’arrêtera là. Ils regarderont les autres enchaîner trois tours pédestre d’un marathon lui-aussi vallonné ; des berges de la Durance, il faut en effet remonter au village, avant de franchir enfin la ligne d’arrivée tant convoitée. Jusqu’à 23h00 (et même un peu plus pour attendre ceux ayant réussi à passer la dernière barrière horaire du marathon…), cette ligne accueillera les finishers. Derrière la ligne, sous les tentes blanches, les « backstages » ont souvent des relents d’hôpital de campagne, au soir des grandes conquêtes, avec perfusions de glucose à gogo pour remettre debout les combattants du jour.

EmbrunMan

cyrille Neveu, vainqueur en 2003
© NICOLAS GOUHIER / VANDYSTADT

Des débuts en catimini

Un parcours mythique, sauvage et harassant, qui fera la légende d’une épreuve née pourtant en catimini. Gérald Iacono, un jeune promoteur immobilier local, rêve en effet d’organiser une épreuve cycliste à Embrun, au début des années 80. « A l’époque, je voulais monter une classique de cyclisme » se remémore l’intéressé. « Je ne voulais pas accueillir de championnat, car les labels fédéraux sont toujours contraignants. L’année suivant un championnat, on a toujours des difficultés à remobiliser les collectivités, en général. Mais une belle classique de vélo, oui, ça m’intéressait. Mais je me suis aperçu que c’était trop onéreux pour une petite ville comme Embrun ». Lorsque Jean-François Bonnet, un instituteur de Digne-les-Bains, vient le voir pour sponsoriser un petit triathlon naissant, Iacono saisit l’opportunité. Et de fil en aiguille, il devient rapidement le co-organisateur de ce triathlon, et bientôt la pierre angulaire. « Le triathlon m’a paru correspondre davantage aux valeurs du site naturel d’Embrun et à ses atouts environnementaux. L’idée a trotté dans ma tête ; on est allé voir comment ça se passait à Nice en 1983, et on s’est lancé l’année suivante ». 1984 scelle donc la naissance du triathlon d’Embrun. La première édition réunit 90 pionniers, sur un parcours hybride, ni tout à fait un Sprint d’aujourd’hui, ni tout à fait un distance M. Au programme, 750m de natation, 30km de vélo et 10 km à pied sont ainsi proposés, déjà avec la côte de Chalvet qui deviendra célèbre au fil des ans. Nuque longue, Gérard Honorat, le voisin de Digne-les-Bains, est le premier à inscrire son nom au palmarès de cette épreuve encore intimiste. Un an plus tard, ils sont 280 au départ d’un format qui évolue : 1500/70/21. Odile Lagarde est la première lauréate. En 1986, un format Longue distance apparaît pour la première fois (4/130/42). L’inflation de kilomètres continue l’année suivante, pour dépasser le format Ironman tel qu’on le connaît aujourd’hui, avec 5km de natation, 180km de vélo, et 42 km à pied. En 1988, on ajoute au programme un format « olympique ».

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Eric Plantin et sa main cassée

1989, année charnière

L’année 1989 sera une année charnière pour l’épreuve, comme nous le raconte Gérald Iacono : « Cette année-là, la France doit accueillir le premier Championnat du monde Courte distance. 5 ou 6 villes ont candidaté, et deux sont retenues : Avignon et Embrun. On s’est battu pour obtenir ce championnat, mais Avignon avait plus d’atouts que nous. Comme ces Championnats ont lieu en août, sur notre créneau habituel, on nous demande d’organiser Embrun un mois avant, c’est à dire en juillet. Le problème, c’est qu’à cette date, on tombe, à Embrun, en même temps qu’une fête religieuse historique qui se déroule depuis le Moyen Age, toujours à la même période. C’est le pèlerinage du Mont Guillaume. On fait une réunion avec le curé d’Embrun et la Confrérie des prieurs pour leur expliquer qu’un changement de date s’impose, et qu’à la place du pèlerinage, il y aura un triathlon. Autant vous dire que c’était très tendu, mais on avait l’appui du maire, et il nous a donné raison » se souvient Iacono. « Le curé de la paroisse m’a bien égratigné durant la messe de cette fête. Le sermon, il était pour moi ce jour-là » plaisante-t-il aujourd’hui. « J’avais mis un billet de 100 francs dans ma poche, pour la quête. Et ensuite on a bu un coup ensemble. Il faut dire qu’on a le meilleur pastis du monde, là haut, avec l’eau fraîche qui y arrive » rigole Gérald Iacono, dont le caractère bien trempé lui vaudra quelques belles passes d’armes avec les uns ou les autres, au cours de quatre décennies d’organisation. Il ne sera pas au bout de ses peines, puisque durant cette épreuve Courte distance de 1989, Yves Cordier, le meilleur Français de l’époque, ne peut éviter un chien dans la Montée des Puys. Il chute, et se fracture la clavicule. Cordier est forfait pour les Championnats du monde, un mois plus tard, et laisse Mark Allen, son grand rival de l’époque, filer vers le premier titre mondial de l’histoire du triathlon Courte distance. 1989, c’est aussi l’année où le format Ironman est définitivement adopté sur l’EmbrunMan. Cordier reviendra vaincre le sort pour remporter 5 fois l’épreuve Longue distance.

15 août, une date immuable pour l’EmbrunMan

En 1990, l’épreuve reprend sa place en août, et surtout, le parcours vélo intègre pour la première fois le col d’Izoard. « Le parcours tel qu’on le connaît aujourd’hui, c’est celui que j’avais en tête d’emblée, à l’époque » assure Gérald Iacono. « Mais ce n’était pas évident de l’imposer tout de suite, on ne savait pas si c’était faisable, on ne voulait pas mettre les athlètes en danger, on ne savait pas trop si le parcours était trop dangereux ou pas ». Avec l’Izoard, le parcours cycliste gagne 1000m de dénivelé d’un coup. Et fait entrer l’épreuve dans la légende.  L’épreuve se cale définitivement au 15 août à partir de 1990. Surtout à cause de la télévision. « Si l’on voulait passer dans Stade 2, qui était la plus grande émission sportive du moment, c’était compliqué. Le vainqueur arrivait vers 16 heures, c’était trop juste pour envoyer les images pour l’émission deux heures plus tard, on n’avait pas les moyens de transmission d’aujourd’hui » raconte Gérald Iacono. « Antenne 2 nous avait même dit : ‘Dans ces conditions, Embrun, c’est fini’. Il fallait qu’on fasse quelque chose, si on voulait exister à la télé. Et j’avais repéré que le 15 août était un jour flottant, qui ne tombait pas systématiquement un dimanche, et ça permettait à Stade 2 de diffuser les images, avec moins de contraintes. Et c’est comme ça que la date est passée définitivement au 15 août. Mais du coup, cela a créé d’autres difficultés, avec la gendarmerie cette fois, pour qui le 15 août est une journée noire…. ».

Malgré tout, les années 90 sont des années fastes pour les courses de l’EmbrunMan. Mark Allen, Simon Lessing viennent triompher sur le parcours olympique, qui accueillera au total quatre Coupes du monde dans son histoire. Le format Long, lui, est support de plusieurs Championnats de France, et d’un Championnat d’Europe, en 1993, remporté par Philippe Lie et Anne-Marie Rouchon. Le Français rejoint les autres grands noms de la discipline qui se sont illustrés ou s’illustreront plus tard sur le parcours, comme Dirk Aschnoneit, Scott Molina, Gérard Honnorat, Marcel Zamora (sextuple vainqueur), Cyrille Neveu, Hervé Faure, etc…

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Gérald Iacono, l’organisateur historique

« Je t’aime, moi non plus », avec la FFTRI

Fort de ses bonnes relations d’alors avec la fédération française de triathlon, Gérald Iacono accepte souvent de rendre service à la fédé et d’accueillir des Championnats, et plus tard des étapes du Grand Prix, sur son épreuve. Pour les 20 ans, en 2003,  5 épreuves sont organisées sur 5 jours : un duathlon, un triathlon découverte, un triathlon distance olympique, un triathlon avenir (9-14 ans) et, bien sûr, l’EmbrunMan. Plus tard, on y ajoutera même un run and bike, et un aquathlon, histoire de réunir toute la « famille » des disciplines enchaînées, ou presque (le swimrun et le raid ne sont pas encore rattachés à la FFTRI). Jusqu’à de récents épisodes fratricides qui ont provoqué un divorce entre la FFTRI et l’association qui organise l’EmbrunMan. « On avait créé une association (Triathlon Evènements) avec la fédération, pour partager le travail. Ca s’est bien passé la première année, et l’année suivante, on a cherché à me virer. Du moins, on m’a demandé poliment de passer la main à la fédération. Moi, j’ai fait le fou. J’ai viré la fédé » explique Iacono, volontiers sanguin quand on touche à son « bébé ». En 2018, c’est un mariage annoncé avec Amaury Sport Organisation qui capote finalement. Autre épisode rocambolesque en août 2018, avec la disqualification, par les arbitres fédéraux, de 14 athlètes. « Soi-disant qu’ils avaient drafté… Drafter sur l’EmbrunMan, vous imaginez ! » s’emporte Iacono. « J’ai demandé à l’arbitre principal de corriger ça, d’être indulgent. Surtout qu’ils avaient laissé ces athlètes franchir la ligne d’arrivée, recevoir leur médaille et leur T-Shirt de finisher, avant de les disqualifier ! L’arbitre principal s’est montré inflexible. Mais j’ai dit au chronométreur de tous les réintégrer dans le classement ». Une « insubordination » qui vaut à Iacono 5 ans de suspension de licence. En réaction, il quitte le giron de la FFTRI. Depuis 2019, l’épreuve n’est donc plus affiliée à la FFTRI. Les arbitres viennent de Belgique, ou d’ailleurs. Mais l’épreuve attire toujours autant de monde des quatre coins de la planète, et le chiffre de participation dépasse chaque année allègrement le milliers d’inscrit(-e)s.

40e édition en 2024

Désormais à la retraite, Gérald Iacono reste le maître d’oeuvre de l’épreuve, plus que jamais. Souvent menacée de disparition, l’épreuve a toujours su se relever des « guerres » locales. Seul le Covid19 a eu raison de l’EmbrunMan, en 2020. L’épreuve est interdite par la préfecture à quelques semaines de son déroulement. Et ce malgré un référé intenté par l’organisation auprès du Tribunal administratif de Marseille pour essayer d’invalider la décision préfectorale. Touché, mais pas coulé, l’EmbrunMan reviendra en 2021,et poursuit son bonhomme de chemin. Avec un Gérald Iacono toujours aussi combattif. « J’ai participé à la création de l’épreuve, et même du triathlon en France, dès ses balbutiements. J’ai été impliqué dans la vie fédérale de nombreuses années, à tous les niveaux. Tout ça, c’est une histoire de passion ; pour faire vivre une épreuve comme ça, il faut accepter de beaucoup travailler, c’est un emploi à temps plein. J’aurais pu m’occuper davantage de mes affaires, ou de mes enfants, ou de moi-même. Mais j’ai choisi de faire vivre l’EmbrunMan. Si on en accepte les contraintes, ça se passe bien, sinon, on abandonne vite face à l’ampleur de la tâche ! ». Gérald Iacono assure qu’il va bientôt passer la main, du moins qu’il va se trouver un associé, chargé de faire perdurer « son » épreuve après sa disparition… On a du mal à y croire ! La 40e édition se tiendra le 15 août prochain !

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