On peut parfois penser que le succès du triathlon anglais tient aux frères Brownlee, ou à Chrissie Wellington. C’est un peu vite oublier Simon Lessing. Ce géant d’1,92m, né Sud-Africain, a fuit l’apartheid à 18 ans pour le Royaume-Unis, pays d’origine de sa mère. Il a ensuite et illuminé de son talent et de sa passion le triathlon international, avec quatre titres mondiaux ITU sur distance olympique, et un sur Longue Distance. Quand on l’interroge sur ce qui l’excite vraiment dans le triathlon actuel, il ne cache pas sa frustration, et ne retient pas non plus ses tacles. Petite leçon de triathlon. Et plus généralement de savoir vivre.

L’Hexagone a eu un rapport privilégié avec ce mythe du triathlon des années 90. Débarqué d’Afrique du Sud, Lessing a trouvé un point de chute à Salon-de-Provence ; il a fait les beaux jours de l’équipe Elite Assystem, du club de Tricastin, et a fait étalage de son talent au public français, notamment sur le France Iron Tour de la grande époque (une course à étapes qui rassemblaient les meilleurs du monde), ou à Nice : en 1993, il livre un superbe combat face à Mark Allen mais se fait reprendre à 5 km de la ligne d’arrivée, avant de l’emporter sur la Prom’ en 1995, devant des légendes du Longue distance comme Luc Van Lierde (BEL), Peter Reid (CAN), Yves Cordier (FRA) ou Olivier Bernhard (SUI). S’il a dominé son époque sur Courte distance, Simon Lessing n’a toutefois jamais réussi à transformer l’essai aux premiers Jeux Olympiques du triathlon à Sydney, en l’an 2000, qui lui semblaient promis. Ni à Kona, plus tard, sur Ironman, distance sur laquelle il « montera » à la fin de sa carrière. A Hawaii, il a ainsi abandonné deux fois, la première à vélo, la seconde à pied. En 2014, Simon Lessing est nommé au premier Hall of Fame de l’International Triathlon Union. À ses côtés, figurent quelques athlètes qui ont marqué de leurs empreintes indélébiles notre sport, et notamment Mark Allen et Greg Welch chez les garçons, Karen Smyers, Erin Baker ou encore Emma Carney chez les filles. Aujourd’hui, à 48 ans, c’est un papa comblé – ses deux filles sont très fortes en natation – et c’est un coach réputé. Son business de coaching à Boulder (bouldercoaching.com) avec son copain Darren De Reuk et sa femme Lisa, ancienne triathlète et nageuse de haut niveau, fait carton plein.

TriMag : Simon, merci de nous accorder cet entretien. Commençons par évoquer votre début de carrière. Car une des raisons de votre popularité d’alors, hormis vos victoires bien sûr, c’était quand même votre détermination incroyable. Une histoire circule d’ailleurs sur votre arrivée en France quand vous n’aviez pas d’argent et aviez dû dormir dehors dans votre house de vélo, la veille d’une compétition de courte distance que vous avez remportée le lendemain. Elle est vraie cette histoire ?

Simon Lessing : Elle date de 1989, ou 1990, je ne sais plus. Et elle est vraie, oui. C’était à un moment de ma vie où j’ai beaucoup appris sur moi-même. J’ai dû me battre comme jamais, je ne parlais pas encore français et, souvent, il aurait été tellement plus facile de jeter l’éponge, de me trouver des excuses et de rentrer à la maison. Je vivais à Salon-de-Provence et, ce jour-là, c’est votre anecdote, j’allais faire le triathlon d’Annecy. J’ai commencé par me tromper de train. Je suis parti dans l’autre sens. Bref, j’ai mis la journée pour rejoindre Annecy. Une fois sur place, je n’avais pas d’argent pour un hôtel et c’était la saison haute, en plein été. Alors j’ai payé pour un simple emplacement de camping, je me suis mis dans ma house de vélo pour dormir. J’ai eu froid, les gens m’ont tous regardé d’un drôle d’air, et je n’ai bien sûr pas beaucoup dormi. Mais le lendemain, j’ai en effet gagné la course. J’étais – très – motivé (Rires).

TriMag : C’est une des anecdotes les plus hallucinantes de notre sport et sa portée dépasse bien largement le triathlon. Vous êtes la preuve vivante de l’expression française « quand on veut, on peut » !

Simon Lessing : Vous voulez la fin de l’anecdote ? Après avoir gagné la course, j’ai repris le train dans l’autre sens – le bon cette fois – et quand je suis arrivé à la gare près de chez moi, c’était bien entendu le soir. Il faisait nuit. Mais j’avais encore 40 km à parcourir pour rentrer chez moi. Je suis donc remonté sur mon vélo, dans le noir…

TriMag : Certains diraient aujourd’hui que vous étiez un vrai « malade ».

Simon Lessing : Disons que je ne me posais pas trop de question. J’ai beaucoup grandi en tant qu’athlète mais surtout en tant qu’homme à cette époque. Être motivé ça veut dire quoi dans le fond ? Ça veut dire qu’il faut parfois faire des sacrifices pour réussir là où les autres échouent, des choses de dingue. La plupart des jeunes triathlètes d’aujourd’hui s’engouffrent sans trop réfléchir dans les programmes proposés par les fédérations, c’est la voie du courte distance. Et c’est facile. Ils sont aidés tout de suite, on les protège, on les aide. C’est un choix mais ça explique aussi les pauvres résultats français en longues distances. Car le résultat, c’est que beaucoup d’entre-eux sont en réalité très fragiles. Des jeunes pros d’aujourd’hui, j’en vois tous les jours à Boulder. Ils se plaignent pour un rien. En fait ils n’ont aucune idée de ce que ça veut dire d’être vraiment motivé. Ce n’est pas forcément de leur faute, bien sûr, mais ils passent à côté d’expériences qui les rendraient plus forts. Il m’a toujours semblé important d’évoluer à l’intérieur, sur le plan personnel, avant de pouvoir produire des résultats incroyables sur le plan professionnel. C’est vrai dans tous les domaines de la vie d’ailleurs, pas seulement dans le sport.

Recueilli par Gaël Couturier – Photos ITU

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