Scott Tinley a fait partie des pionniers du triathlon.Dans les années 80, il était parmi les stars, les vraies. Un membres du fameux «Big Four», avec Dave Scott, Mark Allen et Scott Molina.Son palmarès à l’Ironman d’Hawaii fait rêver n’importe quel Jan Frodeno ou Patrick Lange: 3een 1981, vainqueur devant Dave Scott en 1982 (course en février), second trois années de suite 1982 -1983 -1984 à chaque fois derrière Dave Scott, à nouveau vainqueur en 1985 et enfin, 3e en 1986 derrière Dave Scott et Mark Allen. En 1990, Tinley remet ça, et s’offre la seconde place à Hawaii juste derrière Allen. Une fin de carrière en apothéose qui prouve qu’il était bien le 3e larron de l’histoire de l’Ironman à ses débuts. Aujourd’hui, Scott Tinley est professeur à l’université de San Diego, mais aussi «lifeguard» à ses heures perdues et sur les plages du coin. Il est un témoin unique de cette époque, et un observateur critique du monde qui se déroule sousnos yeux de sportifs aujourd’hui. Entre deux cours, entre deux sauvetages en mer, il nous a accordé ce bel entretien.

TriMag: Sur votre site wevous citez Platoon, l’excellent film d’Oliver Stone, et le personnage principal, Chris Taylor joué par Charlie Sheen: “I think now, looking back, we did not fight the enemy; we fought ourselves. And the enemy was in us.” Il parle de l’ennemi qui vient de l’intérieur, et qui est plus terrible que celui de l’extérieur. Platoon parle de la guerre du Vietnam et de cette époque dramatique pour votre pays durant lequel la garde nationale était dans la rue pour empêcher les débordements d’une certaine jeunesse, un peu comme aujourd’hui dans certaines des plus grandes villes américaines, y compris Los Angeles, à deux heures de voiture de là où vous vivez. Mais on peut aussi prendre de la hauteur par rapport à l’actualité, et ramener cela au triathlon, quand les moments en course sont difficiles et qu’il faut lutter contre soi-même et son envie d’abandonner par exemple. Vous êtes d’accord avec ce parallèle?

Scott Tinley: D’abord, le rapprochement entre les épreuves sportiveset la guerre est souvent galvaudé. Mais si on considère la question sérieusement, il y a des choses à dire, en effet. Peu de commentateurs ont, à mon sens, suffisamment d’expérience pour donner leur avis. Peu ont été sportifs professionnels et soldats avec un vrai fusil braqué sur un autre êtrehumain. Je ne l’ai jamais été. Oliver Stone non plus. Il a été soldat d’infanterie pendant la guerre du Vietnam et a ainsi gagné le droit d’en parler à mon avis. Ce qu’il a fait avec Platoon notamment. La guerre du Vietnam était un échec et une erreur dès le départ. Les institutions américaines sont les coupables de cette affaire. Ce conflit était non seulement illégal mais surtout complètement immoral avant même de démarrer. On peut aussi rapprocher ce conflit des compétitions sportives en général dans le sens où vous vous retrouvez parfois face à des situations qui n’ont ni queue ni tête, et où tout semble aller contre vous. Je veux parler des situations où vous avez beau vous battre, plus rien ne fait sens. Quant à la phrase que vous citez très justement, elle vient aussi d’une bande dessinée de 1970 où le petit personnage nommé Pogo se rend compte que l’être humain est entièrement responsable de la dégradation de la nature. On peut en effet penser que lors d’une épreuve physique intense ou un événement de nature internationale et politique, l’ennemi n’est pas toujours aisément identifiable, ni évident. L’ennemi est parfois au fond de nos cœurs et de nos esprits et ne se révèle que lorsque nous sommes confrontés à de beaux défis, notamment physiques.

Avec Dave Scott, à Dallas en 1985.

TriMag:Ce qui définit également nos vies depuis quelques mois, c’est ce Coronavirus. Il est là, il est inévitable, il est global et il représente une menace sérieuse. C’est un peu comme si nous avions perdu notre innocence, peut-être à tout jamais. Vous avez écrit un livre qui s’intitule Racing the Sunset. Je ne l’ai pas lu mais, et corrigez-moi si je me trompe, c’est une étude poussée sur ce que peut vivre un athlète professionnel quand il se retire du circuit et entame sa transition. Que pouvez-vous dire aux triathlètes d’aujourd’hui pour vivre au mieux la transition post-coronavirus, en espérant que nous en soyons là. Et quelles vont être les prochaines étapes, à votre avis?

Scott Tinley: pour évoquer la pandémie du COVID-19 le monde entier parle de «sans précédent». Et pour la plupart des gens, en effet, ce qu’ils ont vécu ou vivent en ce moment même avec ce virus est quelque chose de totalement nouveau. C’est vrai. Le simple fait de prendre en considération les problèmes qu’amène le coronavirus est une expérience de transition de vie. Mais la vie est toujours faite de changement. On n’y échappe pas. Si on réfléchit là-dessus sereinement, on s’aperçoit qu’il est aisé de mettre nos sentiments entre parenthèse et de se préparer à vivre la prochaine transition. On parlera alors peut-être de deuxième ou troisième vague de la pandémie, d’une perte d’emploi, d’une rupture amoureuse, d’une maladie ou d’un des milliers d’événements qui viennent perturber notre quotidien souvent trop sage et trop confortable. J’ai moi aussi souffert psychologiquement quand j’ai quitté le monde des athlètes professionnels. Mais je me suis rendu compte après que je m’étais beaucoup trop identifié à ce monde-là. J’étais renfermé sur moi-même et ma vie d’alors. Cette expérience difficile, ainsi que mes recherches universitaires je dois le dire, m’ont permis de mieux vivre la transition vers la vie avec -ou après –le COVID-19. J’ai su rester concentré, occupé, et focalisé sur un nouveau chapitre. Généralement dans ma famille on ne fait pas les choses à moitié. Alors quand cette pandémie s’est déclarée, ma vie a pris un tournant inattendu. Mais je suis habitué. Je devrais le relire, ce livre dont vous parlez, tiens…

TriMag:Vous incarnez assez bien l’antithèse du triathlète obsessionnel. On comprend vite que le triathlon est loin d’être toute votre vie. Vous avez réussi, au contraire de beaucoup d’autres, Mark Allen et Dave Scott en tête, à construire autre chose: vous avez décroché un doctorat et vous êtes professeur d’université par exemple. Que dites-vous aux gens qui sont obsédés par le triathlon ?

Scott Tinley: Ce sport attire beaucoup les personnalités qu’on désigne comme«obsessionnelles». Il offre les moyens à qui veut de se concentrer à l’extrême sur sa pratique. Beaucoup s’en servent pour exprimer leurs personnalités. Certains vont en effet trop loin. Mais d’autres ne vont pas assez loin. Avec le recul, je peux dire aujourd’hui que je me suis entraîné beaucoup trop dur, beaucoup trop longtemps. Cela dit, j’ai conservé suffisamment d’énergie pour avoir un vrai job, construire une famille, et conserver d’autres envies et intérêts divers. Parfois je me réveille et je me demande bien comment je vais réussir à me lever. Alors je reste couché. C’est pathologique, croyez-moi. Le sport en général offre de belles opportunités à celui qui n’a pas peur de se découvrir vraiment. Comme on le dit souvent: «il faut parfois accepter d’aller toucher ses limites pour entrevoir son cœur». Ou quelque chose comme ça.

Recueilli par Gaël Couturier

INTEGRALITE DE L’INTERVIEW A RETROUVER DANS TRIMAG 91 DISPONIBLE EN KIOSQUE OU ICI SU NOTE BOUTIQUE EN LIGNE

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