Lionel Sanders (CAN) vit à Tuscon, Arizona, une des villes les plus chaudes des USA. Tuscon, c’est aussi la nouvelle Mecque du triathlon outre-Atlantique pour préparer Kona et les épreuves les plus chaudes du PTO, le nouveau circuit du Professional Triathletes Organisation. Les routes de cet Arizona-là sont droites, plates et désertes. C’est un endroit reculé, propice à l’isolement, à la concentration. Sam Long, l’Américain, copain et rival de Sanders y vit aussi. Il faut dire que le prix de l’immobilier est raisonnable, contrairement à Boulder, Colorado, devenu inaccessible. Depuis son tout premier Ironman en 2014, en Floride, où met 19 minutes à son plus proche poursuivant, et où sa mère qui ne savait pas nager trois mois plus tôt termine aussi la course, notre Canadien a fait couler beaucoup d’encre. Sanders nage comme une brique, ou presque, roule fort, très fort et court avec un style en mille morceaux qui fait de la peine à voir. Et pourtant. Sa force, c’est son abnégation, son envie de mordre dans les entraînements qui font mal, sa résistante à la douleur et son infatigable désir de remporter Kona, son seul et unique Graal. Ce canadien est capable de tout : du grand n’importe quoi comme des plus jolis sprints où il gagne d’un cheveu. Un être à part, ce garçon.

Recueilli par Gaël Couturier

TriMag : Vous allez bientôt être papa, félicitations ! Si cet enfant veut devenir triathlète pro quels sont les conseils que vous lui donneriez : d’être toujours à fond ? D’apprendre à nager plus tôt que vous ?

Lionel Sanders : Ah merci, c’est gentil ! En vrai je suis super content et j’ai trop hâte. Si cet enfant veut faire du triathlon en pro et bien je serai son fan le plus fidèle. Notre but en tant que parent, c’est de lui montrer le plus de choses possibles, de lui faire expérimenter le plus de choses possibles. Comme ça, il sera en mesure de tracer son propre chemin en faisant des choix basés sur l’expérience. Si son choix c’est de pratiquer le triathlon alors très bien, je serai là pour lui. De toute façon je lui laisse une semaine et puis après je l’emmène à la piscine. Ah ah ah…

TriMag : Sur le 2022 PTO Canadian Open de la fin juillet vous aviez terminé 7eme et vous étiez, on le comprend bien, très, très déçu. Les Norvégiens Kristian Blummenfelt et Gustav Iden sont parmi ceux qui attirent les regards en ce moment car leurs performances sur les longues distances sont époustouflantes. Ils seront à Kona tous les deux et représentent une vraie menace pour votre quête du titre. Pensez-vous avoir quelque chose de plus que ces garçons qui pourrait vous donner la victoire dans quelques jours à Kona ?

Lionel Sanders : Cette course du PTO Canadian Open a mis en lumière mes faiblesses en tant qu’athlète. Je crois que ce qui ne me tue pas me rend plus fort, et que ce type d’épreuve me fait progresser dans des tas de domaines. Cela dit, Kona n’a rien à voir. C’est une toute autre histoire. Je crois que la course de ce World Championship à Hawaii correspond plus à mes forces. Je pense aussi que ceux qui auront la connaissance du terrain auront un avantage.

« Obsédé par le fait de réaliser la course parfaite »

TriMag : Kristian Blummenfelt est un mec à part. On sait que vous l’aimez beaucoup, que vous le respectez beaucoup. Qu’est-ce qu’il apporte au triathlon d’aujourd’hui à votre avis ?

Lionel Sanders : C’est vrai que j’ai passé pas mal de temps à ses côtés ces derniers mois. Je crois que ce mec n’est pas fait comme les autres. Dans sa tête, il fonctionne différemment. Il est extrêmement concentré sur son sport. Son dévouement est sans comparaison, et je ne suis pas étonné de son succès dans les longues distances alors qu’il courait en courtes distances il n’y a pas si longtemps. Je ne lui connais pas de passion ou même d’intérêt dans la vie en dehors du triathlon, de l’entraînement et des compétitions. Pour rester à son niveau, pour le battre, je n’ai pas d’autre choix que de faire comme lui. Erin et moi attendons un enfant, c’est vrai, mais cela ne veut pas dire que je ne vais pas tout donner jusqu’à la fin, jusqu’à la toute fin.

Lionel Sanders
Fotos; Moritz Sonntag

TriMag : Nous ne reviendrons pas sur vos débuts dans ce sport et ce qu’il vous a apporté mais nous nous interrogeons toutefois sur ce qui fait vos démons aujourd’hui. Contre quoi vous battez-vous aujourd’hui Lionel Sanders ?

Lionel Sanders : Vous avez raison de ne pas vouloir revenir sur le passé. Je suis un homme qui a beaucoup changé, je suis devenu un autre athlète. Le triathlon m’a sorti des dangers de ma vie d’avant et m’a transformé en ce que je suis devenu, un athlète professionnel qui connaît un certain succès. Je serai toujours reconnaissant envers ce sport. Il m’a sauvé la vie. Toutefois, dans ma tête, je suis en quête. Je suis obsédé par le fait de réaliser la course parfaite. C’est une course où je peux dire que j’ai tout donné et que je n’aurai rien pu faire différemment. Ce n’est pas facile comme concept. Mais j’ai ça en tête, en permanence. Je veux que l’entraînement se passe sans aucune faute. Je veux que ma natation soit la meilleure possible et que mes défauts, mes erreurs dans ce sport soit les plus minimes de toute ma carrière. Je veux que ma nutrition soit au top ce jour-là aussi. Je veux être dans la « zone » du début à la fin. Je veux la course parfaite. Vous comprenez ?

TriMag : Oui. Vous êtes un mec intense. Quand vous nous dites ce genre de truc, ça nous fait trembler un peu, mais surtout vachement plaisir en fait. On vous sent plus déterminé que jamais. Sur Internet, en interview, on vous a toutefois entendu dire après votre seconde place à l’Ironman World Championship de St George, en Utah, que vous serez à votre meilleur niveau dans deux ou trois ans. Ce n’est pas un peu n’importe quoi ça, quand même, non ? Pourquoi le Lionel Sanders qu’on aime ne peut pas enfin être à son top maintenant, pour Kona, cet octobre ? Vous avez 34 ans et les jeunes qui poussent contre qui vous vous battez en PTO ont parfois jusqu’à 10 ans de moins que vous : Gustav Iden, Sam Long, Léon Chevalier ou encore Daniel Bækkegård ont 26 ans, Magnus Elbæk Ditlev et Sam Laidlow ont 24 ans et il y a même un Français de 23 ans, Clément Mignon !

Lionel Sanders : Nous avons tous noté que le niveau est monté d’un cran depuis un an ou deux. Je n’ai aucun doute sur l’excellent état de forme dans lequel je serai sur la ligne de départ de Kona. Mais cette forme sera-t-elle la meilleure de ma vie ? La réponse est non. Les meilleurs triathlètes sont à un niveau que je n’ai rejoint que très récemment. Les gens que vous avez cités, et il y en a d’autres, sont au top depuis des années. Moi j’ai encore le sentiment de débarquer, depuis un an, maximum.

TriMag : C’est fou parce que pour nous vous êtes au top depuis des années !

Lionel Sanders : Écoutez, je vais vous donner un exemple. Il y a quelques mois, avant la PTO du Canada, je suis parti m’entraîner à Flagstaff sur les hauteurs en Arizona. Ce camp d’entraînement en altitude m’a fait régresser en natation ! J’ai fait n’importe quoi… C’est pourtant crucial pour moi de travailler en natation. C’est mon point faible. J’aurai dû le savoir. On a corrigé le tir mais ça va me prendre du temps pour rattraper mon retard et donner le meilleur de moi-même. Ce dont je vous parlais plus haut.

TriMag : IM Mont Tremblant, IM 70.3 Indian Wells, IM 70.3 St. George. IM 70.3 Oceanside, IM 70.3 Galveston, et IM Arizona sont des courses où vous avez brillé de manière répétée pendant toute votre carrière. Qu’est ce qui fait que vous êtes sans cesse revenu à ces épreuves ?

Lionel Sanders : Ce sont des courses qui accueillent souvent de très bons triathlètes et donc c’est toujours bon pour moi de me battre contre les meilleurs sur Ironman et sur ces deux distances. De plus, ces courses sont proches de chez moi, étant donné que je vis maintenant aux États-Unis à temps plein. Quant à St Georges en Utah, c’est une course que j’adore. L’endroit est magnifique et c’est un de mes endroits préférés aux USA. C’est LA course que je serai toujours tenté de faire, année après année.

« Le golf et la natation ont beaucoup en commun… »

TriMag : Les duels entre Mark Allen et Dave Scott sur le marathon de Kona en 1989, et puis bien sûr entre Chris McCormack et Andreas Raelert en 2010 sont des moments clés de l’Ironman qui ont fait fantasmer des générations. Vous avez-vous aussi, cette année à Oceanside et St Georges, eu ce type de bataille au sprint. Vous vous souvenez de ces moments de 1989 et 2010 ? Ils vous inspirent quoi ?

Lionel Sanders : Ce sont en effet des moments historiques. Je ne suis pas sûr qu’on puisse vraiment comparer avec les duels dans lesquels j’ai été investi ces derniers temps mais j’apprécie votre comparaison. Ce que j’aimerais, c’est moi aussi ressortir victorieux d’une telle bataille en octobre à Hawaii. C’est mon rêve. Il faut y croire non ?

Lionel Sanders

TriMag : Depuis 1978, année de création de l’Ironman il n’y a eu que deux Canadiens sur le podium chez les hommes, Peter Reid et vous. Peter Reid est triple champion à Hawaii. Mais il est d’une autre époque. Est-ce que vous lui avez déjà parlé pour qu’il vous donne éventuellement des conseils ?

Lionel Sanders : Non je n’ai jamais parlé à Peter Reid donc ce n’est vraiment pas la peine d’en discuter, merci.

TriMag : Ah OK, bon, ben, dernière question du coup. De nombreux sportifs nord-américains jouent au golf pour se détendre. Vous ne faîtes pas exception à la règle qui, d’ailleurs, compte le surfeur Kelly Slater dans ses rangs, 11 fois champion du monde quand même. Qu’est-ce que vous avez tous à jouer au golf franchement ?

Lionel Sanders : D’abord je vous prie de noter que je ne suis pas très fort au golf moi ! Ensuite, plus sérieusement, le golf c’est pour moi un moyen de me détacher du triathlon qui, comme vous le savez, est un sport très prenant. Nous avons tous besoin d’équilibre dans la vie non ? Ensuite, je pense que le golf et la natation ont beaucoup en commun. Je m’explique : si vous essayez de nager sans aucune technique, même si vous y aller aussi fort que possible, vous n’arriverez à rien. Vous allez vous essouffler mais vous n’irez ni très vite, ni très loin. C’est la même chose au golf. Si vous frappez dans la balle aussi forte que possible et sans aucune technique…bon courage pour que votre balle aille loin. Vous ne ferez pas plus de 10 mètres, c’est moi qui vous le dis. Le golf, la natation, même combat : vous devez ralentir le jeu avant d’être en mesure d’accélérer.

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